Aujourd’hui, je vais vous parler d’un livre qui ne date pas d’hier : L’Art d’aimer d’Ovide. Pour rappel, Ovide est un poète latin né en 43 av. J.-C, dont les œuvres les plus connues sont les Métamorphoses, et L’Art d’aimer, qui nous intéresse aujourd’hui. Dans ce long poème, Ovide se livre à des recommandations amoureuses, à destination des hommes surtout, mais aussi des femmes. J’entends déjà les « Oui mais pourquoi s’intéresser à ce qu’un type a écrit il y a 2 000 ans, surtout sous le prisme du féminisme ? Évidemment que ça va être tout moisi ! ». Eh bien justement parce que je trouve qu’il est intéressant de remonter le temps, afin de découvrir -et de vous faire découvrir- que le patriarcat n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter un beau matin, et qu’Ovide a érigé en vérité absolue bien des sottises, qui perdurent hélas encore aujourd’hui, 2 000 ans plus tard donc. Comme dirait Stéphane Bern, voyez plutôt.
Sommaire
Pour Ovide, l’amour commence par une chasse
Si vous avez toujours suivi les conseils de votre maman, qui vous disait que vous ne pouviez pas hâter l’amour, et que vous aviez juste à l’attendre, sachez qu’Ovide vous désapprouve fortement. Enfin, si vous êtes un homme. Parce que, voyez-vous, pour Publius Ovidius Naso (c’est son vrai nom, le Naso étant en rapport direct avec son gros blair), l’amour commence par une chasse. L’homme est évidemment le chasseur, la femme le gibier, et Ovide n’est pas avare de métaphores animalières afin de l’expliciter :
« Elle ne te viendra pas du ciel sur l’aile des vents ; la belle qui te convient, ce sont tes yeux qui doivent la chercher. Le chasseur sait où il doit tendre ses filets aux cerfs ; il sait dans quel vallon le sanglier farouche a sa bauge. L’oiseleur connaît les broussailles propices à ses gluaux, et le pécheur n’ignore pas quelles sont les eaux où les poissons se trouvent en plus grand nombre. »
Cerf, sanglier, poisson…avez-vous trouvé votre animal totem ?
Difficile de ne pas -déjà- faire un parallèle avec notre douce époque (au sens large, l’époque), dans laquelle les femmes sont souvent assimilées à des animaux. Poule, vache, thon, pouliche, lionne, truie, gazelle…les exemples ne manquent pas. L’homme doit donc aller chasser dans les endroits les plus propices à la prolifération de proies. Pour Ovide, c’est le théâtre. Aujourd’hui, ça serait plutôt les boîtes de nuit. N’avez-vous d’ailleurs jamais remarqué le nombre de « Ladies night » proposées par ces établissements ? Durant la première partie de la soirée, seules les femmes sont autorisées à entrer, et peuvent se saouler gratuitement. Ensuite, les mâles n’ont plus qu’à se glisser dans l’arène et à trouver une proie suffisamment ivre, qui ne se rendra pas compte de leur muflerie.
Ouais mais c’est de leur faute aussi, elles ont qu’à pas boire, ces connes !
Tais-toi Jean-Jacques. Merci. Poursuivons. Une fois que l’homme a trouvé une belle poule, c’est très simple, il doit maintenant se montrer d’une lourdeur homérique :
« Assieds-toi près d’elle, côte à côte, le plus près que tu pourras ; le peu d’espace te force à la presser. Si, par un hasard assez commun, un grain de poussière volait sur le sein de ta belle, enlève-le d’un doigt léger ; s’il n’y a rien, ôte-le toujours : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. »
Ok, donc colle-toi bien à elle pour qu’elle sache que tu existes, et touche-lui les seins sans pression.
Ovide a-t-il douze ans au moment où il écrit ces vers ? Ah, non, on me dit qu’il a déjà la quarantaine.
– Si tu es timide, pas de soucis, souviens-toi seulement qu’il « n’est point de femmes qu’on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur : tends seulement tes filets ».
– Oui, mais si jamais elle veut pas ?
– Ben tu forces.
« Celle que tu croiras peut-être ne pas vouloir se rendre le voudra secrètement. L’amour furtif n’a pas moins d’attraits pour les femmes que pour nous. L’homme sait mal déguiser, et la femme dissimule mieux ses désirs. »
Tu vois ? Même si elle dit « non » ça veut dire « oui ».
Nous sommes à peine à la dixième page de l’ouvrage, que déjà s’étale une culture du viol crasse, qui nous rappelle qu’aujourd’hui encore, nous luttons pour le respect de principes de base tels que le consentement.
Petit traité de manipulation à l’usage des connards
Une fois la proie sélectionnée, Ovide préconise à tout chasseur de ne pas y aller avec le dos de la cuillère en matière de flagorneries :
« N’hésite point à louer son visage, ses cheveux, ses doigts arrondis et son pied mignon. »
Et son intelligence ou son humour ?
Si ces compliments d’une banalité à pleurer ne suffisent pas, Ovide dévoile également la botte secrète de tout manipulateur qui se respecte, une astuce digne de Kevin, coach en séduction sur Youtube : les larmes !
« Les larmes sont aussi fort utiles en amour ; elles amolliraient le diamant. Tâche donc que ta maitresse voie tes joues baignées de larmes. Si cependant tu n’en peux verser (car on ne les a pas toujours à commandement), mouille alors tes yeux avec la main. »
Probablement conscient que les femmes amenées à lire son poème puissent en être choquées, Ovide ne les oublie pas, et leur recommande tout bonnement de jouer le jeu.
« Jeunes beautés, montrez-vous plus indulgentes pour ceux qui se donnent les apparences de l’amour ; cet amour, d’abord joué, va devenir sincère. »
T’inquiète meuf, là il te baratine, mais il sera vraiment in love après. Enfin, peut-être.
Bon, et après tout ce blabla, il ne reste plus à l’homme qu’à couvrir de baisers sa gazelle, que celle-ci soit d’accord ou pas.
« Ta belle s’y refuse ; prends-les malgré́ ses refus. Elle commencera peut-être par résister : « Méchant ! » dira-t- elle ; mais, tout en résistant, elle désire succomber (…) Toute femme, prise de force dans l’emportement de la passion, se réjouit de ce larcin : nul présent n’est plus doux à son cœur. »
Ah oui c’est vrai, j’avais oublié que « non » voulait dire « oui ». Compliquées ces femmes…À ce stade de L’Art d’aimer, j’avoue rire jaune. Si je savais déjà, plus ou moins, à quoi m’attendre en débutant cette lecture, je ne n’imaginais pas forcément que ce que j’allais lire me semblerait finalement si contemporain. Il suffit, en effet, de taper sur Google « Comment pécho ? » pour tomber sur des conseils bien similaires à ceux d’Ovide. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agit de jouer un rôle. Manipuler sa proie pour pouvoir l’avoir donc. C’est bô l’amour…
Pas de remords alligator
Si je prends en compte les nombreux « Not all men » entendus dans ma vie, je suis censée penser que certains hommes ne sont pas du tout en accord avec les techniques de drague évoquées plus haut. Peut-être qu’Ovide a aussi pensé à eux, parce qu’il prend grand soin de montrer que les femmes sont de vilaines profiteuses vénales, et qu’elles méritent donc bien qu’on se joue d’elles.
« Trompez des trompeuses. Les femmes, pour la plupart, sont une race perfide ; qu’elles tombent dans les pièges qu’elles-mêmes ont dressés. »
Race perfide quoi, la violence du type… Alors que le mec qui ment pour arriver à ses fins et qui force comme un bourrin, c’est quoi ? Un pauvre amoureux transi ?
« Que l’anniversaire de la naissance de ton amie t’inspire une sainte horreur, et regarde comme néfastes les jours où il faudra lui faire un présent. Tu auras beau chercher à l’éviter, elle t’arrachera quelque cadeau : une femme sait toujours trouver les moyens de s’approprier l’argent d’un amant passionné. »
J’te tèj la veille et j’te r’baise le lendemain…
« Promettez, promettez, cela ne coûte rien ; (…) Si tu donnes quelque chose à ta belle, tu pourras être éconduit par intérêt : elle aura profité́ de tes largesses passées et n’aura rien perdu. Aie toujours l’air d’être sur le point de donner ; mais ne donne jamais. »
– Du coup, t’as compris ? À la guerre comme à la guerre, tu débourses que dalle tant que t’as pas conclu. Et même après, évite.
– Il a trop raison, c’est des profiteuses les meufs. Tu leur payes le MacDo et même pas elles baisent après !
Jean-Jacques, t’es lourd.
La beauté selon Ovide
Après nous avoir fait part de ses recommandations pétées éclairées en matière de séduction, Ovide se glisse ensuite dans la peau de Cristina Cordula afin de nous régaler de ses conseils beauté.
La beauté masculine, ou la masculinité toxique
Ovide est d’avis que les hommes n’ont pas besoin de grand-chose pour être beaux, et ses recommandations sont surtout liées à l’hygiène générale et à la présentation :
« Ne laisse point d’aspérités sur ta langue, point de tartre sur l’émail de tes dents. (…) Que tes cheveux, mal taillés, ne se hérissent pas sur ta tête ; mais qu’une main savante coupe et ta chevelure et ta barbe. Que tes ongles soient toujours nets et polis ; que l’on ne voie aucun poil sortir de tes narines ; surtout que ton haleine n’infecte pas l’air autour de toi, et prends garde de blesser l’odorat par cette odeur fétide qu’exhale le mâle de la chèvre. »
Bon, jusqu’ici, rien de bien méchant : se laver, se brosser les dents, aller chez le coiffeur de temps en temps… La base quoi, à se demander s’il était d’ailleurs utile de formuler ces conseils, tant ils coulent de source. Attention cependant, car pour Ovide, le mieux est l’ennemi du bien, et il n’est pas acceptable qu’un homme se montre coquet. Il ne doit ni modifier la forme de ses cheveux, ni se faire des gommages de la peau. Ces pratiques sont réservées aux femmes…et aux homosexuels :
« D’ailleurs renonce au futile plaisir de friser tes cheveux avec le fer chaud, ou de lisser ta peau avec la pierre-ponce. (…) Quant aux autres détails de la toilette, abandonne-les aux jeunes coquettes, ou à ces hommes qui recherchent les honteuses faveurs d’autres hommes. »
Tiens tiens, alors lorsqu’un homme prend « soin de lui », cela veut automatiquement dire qu’il est gay ? C’est curieux, je crois bien avoir déjà entendu ça quelque part… Je ne commenterai pas l’expression « honteuses faveurs d’autres hommes », car je pense que tout le monde a bien compris ce qu’Ovide en pense. La bonne nouvelle, c’est qu’il est mort.
La beauté féminine, ou l’éternelle besogne
Si Ovide se montre très succinct concernant la beauté masculine, il est en revanche intarissable lorsqu’il s’agit d’expliquer les indispensables de la beauté féminine. En plus des règles d’hygiène classiques, les femmes doivent également veiller à ce que leurs « jambes velues ne se hérissent de poils », et à « voiler, au moyen d’un cosmétique, les traces trop véridiques de l’âge ». Attention toutefois, les hommes ne doivent pas se rendre compte de ce travail accompli ! Non, ils doivent penser que tout cela est naturel :
« Il ne faut pas toutefois que votre amant vous surprenne entourée des petites boîtes qui servent à ces apprêts. Que l’art vous embellisse sans se montrer. Qui de nous pourrait, sans dégoût, voir le fard qui enduit votre visage tomber entraîné́ par son poids, et couler sur votre sein ? (…) Ainsi, laissez-nous croire que vous dormez encore, lorsque vous travaillez à votre toilette. (…) Il est une foule de choses que les hommes doivent ignorer : la plupart de ces apprêts nous choqueront, si vous ne les dérobez à nos yeux. »
Moooh les pauvres bichons choqués ! Là encore, toujours d’actualité : les publicités pour des rasoirs dans lesquelles les femmes ont zéro poil, le sang bleu, le mythe de la princesse quoi… Et ce n’est pas fini ! Cristina Ovide nous parle maintenant de morphologie, et ça vaut le détour :
« Si vous êtes petite, asseyez-vous, de peur qu’étant debout on ne vous croie assise ; si vous êtes naine, étendez-vous sur votre lit ; et, ainsi couchée, pour qu’on ne puisse pas mesurer votre taille, jetez sur vos pieds une robe qui les cache. »
Genre moi qui mesure 1 mètre 57, je suis censée passer le reste de mes jours assise ?
« N’ouvrez que peu la bouche ; que sur vos deux joues se creusent deux petites fossettes, et que la lèvre d’en bas couvre l’extrémité́ des dents supérieures. »
Ovide pousse même le vice jusqu’à nous conseiller des positions sexuelles en fonction de notre physique :
« Que celle qui brille par les attraits du visage, s’étende sur le dos ; que celle qui s’enorgueillit de sa croupe élégante, en offre à nos yeux toutes les richesses. (…) Si vous êtes de petite taille, que votre amant fasse l’office de coursier. ses genoux sur le lit, la tête légèrement inclinée. Si vos cuisses ont tout le charme de la jeunesse ; si votre gorge est sans défaut, que votre amant, debout, vous voie obliquement étendue devant lui. »
Je vous épargne la suite, à base de « ne riez pas trop fort, mais de manière féminine » et « ne souriez pas si vous avez des grandes dents », je pense que l’essentiel est là. Lorsque ces messieurs n’ont quasi rien à faire, car « une simplicité́ sans art est l’ornement qui convient à l’homme », les femmes sont, elles, soumises à mille et une injonctions. Celles-ci, en plus de nécessiter un labeur infini, ne font que fragiliser leur estime d’elles-mêmes, car leur assènent continuellement qu’elles ne sont jamais assez bien. De plus, le temps consacré à leur beauté est un temps qu’elles ne peuvent pas utiliser pour des choses VRAIMENT importantes.
Ahh sacré Ovide ! Heureusement qu’aujourd’hui les choses ont changé ! Oh wait… Bon, vous l’avez compris, on n’est pas sortis des ronces. Heureusement, de plus en plus de femmes se dressent contre les injonctions à la beauté, et contre divers écueils du patriarcat, tels que la culture du viol. Hélas, ces initiatives sont encore trop souvent sources de violences de la part de qui vous savez.
D’ailleurs, si des hommes passent par ici (qui sait ?), merci d’arrêter de faire comme si tout ça ne vous concernait pas. Rappelez vos potes lourds à l’ordre, arrêtez d’être superficiels, ne violez pas. En bref, ne soyez pas des Jean-Jacques. Merci.
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